Chine – Inde : Tensions militaires au Ladakh dans l’Himalaya indien…

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Chine – Inde : Tensions militaires au Ladakh dans l’Himalaya indien…

Ou l’implacable grignotage de l’armée chinoise dans les montagnes du Ladakh !

La tension monte à nouveau à la frontière entre l’Inde et la Chine

New Delhi dénonce, ce mardi, des affrontements entre militaires indiens et chinois à sa frontière. Des soldats des deux camps auraient été blessés, faisant de ce nouvel affrontement le plus sérieux depuis celui qui, à l’été 2020, avait coûté la vie à plusieurs soldats dans les montagnes du Ladakh.

Entre 200 et 400 militaires chinois auraient affronté 70 à 80 soldats indiens la semaine dernière.

Est-ce le signe avant coureur d’une nouvelle poussée de tension entre New Delhi et Pékin ? Ce mardi, le ministre indien de la Défense, Rajinath Singh, a dénoncé une tentative des soldats chinois de pénétrer en Inde, sur la frontière himalayenne, à proximité de la ville de Tawang, dans l’Etat d’Arunachal Pradesh.

« Il y a eu des combats au corps à corps entre les troupes chinoises et indiennes le 9 décembre. Les troupes indiennes ont empêché les troupes de l’APL (Armée populaire de libération, NDLR) de pénétrer sur notre territoire », a-t-il affirmé. Lors de cet affrontement, toujours selon l’Inde, il y aurait eu des blessés des deux côtés, dont six militaires indiens.

Une situation « stable dans l’ensemble », selon la Chine

Cet incident, s’il est confirmé, serait le plus sérieux affrontement entre les deux voisins depuis trente mois. Durant l’été 2020, une vingtaine de soldats indiens et au moins quatre chinois avaient trouvé la mort dans les montagnes du Ladakh .

La Chine semblait, ce mardi matin, vouloir éviter de jeter de l’huile sur le feu. « D’après ce que nous savons, la situation à la frontière entre la Chine et l’Inde est stable dans l’ensemble », a déclaré à la presse Wang Wenbin, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, ajoutant que les deux parties « maintiennent un dialogue sans entrave sur la question frontalière par les voies diplomatiques et militaires ».

New Delhi, au contraire, dénonce une nouvelle provocation chinoise, accusant Pékin de vouloir modifier le rapport de force dans cette partie du monde. Le 9 décembre, les troupes chinoises « ont tenté de modifier unilatéralement le statu quo en empiétant sur la Ligne de contrôle effectif », a en effet expliqué Rajnath Singh, faisant référence à la frontière de facto qui existe entre les deux pays.

Une version qui n’est pas celle de Pékin. Ce mardi, un porte-parole de l’armée chinoise a déclaré que les troupes chinoises « ont été entravées par l’armée indienne qui a illégalement franchi » la Ligne de contrôle effectif. « Nos mesures de réaction ont été professionnelles, classiques et fermes, et elles ont stabilisé la situation sur le terrain », a-t-il ajouté.

Jusqu’à 400 militaires chinois face à 80 soldats indiens

Cette intrusion chinoise n’aurait rien d’anecdotique, selon New Delhi. Vendredi dernier, 200 à 400 militaires chinois auraient affronté 70 à 80 soldats indiens dans cette région du nord-est de l’Inde. Un affrontement à l’arme blanche puisque, dans le but d’éviter une escalade, les deux pays ont convenu il y a quelques années que les patrouilles ne portaient pas d’armes à feux.

Devant la résistance des soldats indiens, ceux de Pékin auraient rapidement reflué, affirme New Delhi, non sans une pointe de satisfaction. Les responsables militaires sur place de deux parties se seraient ensuite réunis dimanche pour tenter de calmer le jeu.

Dans l’absolu, les intrusions de chaque côté de la frontière ne sont pas rares. Mais elles se règlent généralement pacifiquement par ce que l’on appelle des « exercices de banderoles », l’intrus se voyant signifier, par une série de panneaux brandis écrits dans sa langue, qu’il s’agit d’une intrusion et qu’il doit repartir. Les violences sont moins fréquentes et de ce fait plus souvent mises en avant.

Intrusions aériennes

Le face-à-face entre Pékin et New Delhi a aussi lieu dans les airs. Toujours selon le commandement militaire indien, cité par l’agence de presse ANI, avant même l’incident de Tawang, l’armée de l’air a effectué en moyenne chaque semaine deux à trois sorties pour prévenir des violations de l’espace aérien par des drones chinois. Les Rafales achetés par l’Inde et qui sont basés à proximité n’ont pas été mis à contribution.

Cet incident entre Pékin et New Delhi intervient quelques jours après la tenue, dans cette région, d’exercices militaires conjoints de l’Inde et des Etats-Unis. Des exercices contestés et dénoncés par la Chine.

Claude Fouquet

Source : lesechos.fr – 12/2022 / Photo : www.outlookindia.com – PTI
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Voir aussi : Sources et références…
https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/linde-et-la-chine-connaissent-leur-affrontement-frontalier-le-plus-serieux-depuis-2020-1888659
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/09/dans-l-himalaya-indien-l-implacable-grignotage-de-l-armee-chinoise_6137605_3210.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_frontalier_sino-indien
https://asialyst.com/fr/2022/12/17/himalaya-taiwan-armee-chinoise-bataille-pour-faire-oublier-frustrations-nationales/

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Les combattants volontaires d’hier et d’aujourd’hui préparent ceux de demain...

Mission Jeanne d’Arc 2023 : Le tour du monde stratégique du Dixmude… inédit depuis 2001

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Mission Jeanne d’Arc 2023 : Le tour du monde stratégique du Dixmude… inédit depuis 2001

Un tour du monde complet de 5 mois, pour le groupe Jeanne d’Arc

La mission Jeanne d’Arc 2023 s’est élancée le 8 février, pour un tour du monde de cinq mois. Le capitaine de vaisseau Emmanuel Mocard, commandant le groupe Jeanne d’Arc, a donné plus de détails sur ce déploiement lors du point presse hebdomadaire du ministère des Armées.

Près de 800 marins et soldats, dont quelque 160 officiers-élèves de l’École navale, vont prendre le large pour cette Jeanne d’Arc 2023. Ils embarqueront sur le Porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude et sur la frégate La Fayette. Au programme : un tour du monde complet qui va durer cinq mois, inédit depuis 2001 et la campagne de l’ancien porte-hélicoptères Jeanne d’Arc. « C’est un long déploiement dans des zones d’intérêt stratégique avec des enjeux maritimes, économiques, sécuritaires et environnementaux majeurs. Nous offrons un cadre de formation à la fois concret, réaliste et de qualité aux officiers de marine en devenir », indique le commandant du groupe Jeanne d’Arc.

Formation, opération et coopération

La mission Jeanne d’Arc répond à plusieurs objectifs. Hormis la formation destinée à clore le parcours académique des officiers-élèves de l’École navale, cette mission contribue aussi à garantir le respect de la souveraineté française sur ses territoires d’outre-mer. « Nous passerons par Fort-de-France, par Papeete ou encore par Nouméa et aurons la possibilité de travailler avec des forces prépositionnées sur zone », explique le commandant.

De nombreux exercices avec des nations partenaires viendront également ponctuer ce tour du monde, à l’image de La Pérouse, sans compter la participation de la « Jeanne » à des missions planifiées, telle l’opération européenne Atalante de lutte contre la piraterie maritime dans l’océan Indien. « Durant cinq mois, nous allons balayer l’ensemble des fonctions stratégiques comme les connaissances, l’anticipation, mais également la protection, la prévention, voire l’intervention en fonction de la situation », indique le capitaine de vaisseau Emmanuel Mocard. Point d’orgue de cette Jeanne d’Arc 2023 : l’exercice Croix du Sud, dans l’océan Pacifique, centré sur l’assistance aux populations après un événement climatique.
Plus de 15 nations partenaires y participeront

Source : Ministère des Armées – Marine nationale / Photo : Le Dixmude © MARINE NATIONALE
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Voir aussi : Sources et références…
PDF intégral : https://www.fncv.com/wp-content/uploads/2023/02/marine-nationale-mission-jeanne-arc-2023.pdf

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Corée du Nord : Tirs de missiles et menaces de « champ de tir » sur l’Océan Pacifique

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Corée du Nord : Tirs de missiles et menaces de « champ de tir » sur l’Océan Pacifique

La Corée du Nord tire deux missiles balistiques et met en garde Washington et Séoul

La Corée du Nord menace de transformer l’océan Pacifique en « champ de tir » !
Pyongyang a effectué de nouveaux tirs 48 heures après le lancement d’un missile balistique intercontinental condamné par le secrétaire général de l’ONU.

Une démonstration de force. La Corée du Nord a affirmé avoir tiré, lundi 20 février, deux missiles capables, selon elle, d’une « attaque nucléaire tactique » pouvant détruire entièrement des bases aériennes ennemies. Selon l’agence officielle nord-coréenne KCNA, cet « exercice » a été mené en réponse aux exercices aériens conjoints des Etats-Unis et de la Corée du Sud de dimanche. Car Pyongyang accuse les deux alliés d’être responsables de la détérioration de la situation sécuritaire dans la péninsule.

Il s’agit du deuxième tir nord-coréen en 48 heures, après le lancement samedi d’un de ses missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) les plus puissants, en réponse à un exercice militaire prévu par Washington et Séoul. Le lancement de cet ICBM, tombé selon Tokyo dans la Zone économique exclusive (ZEE) du Japon, a conduit Washington et Séoul à organiser dimanche des manœuvres aériennes conjointes. Ce lancement a été « fermement » condamné par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit mardi

Dans une déclaration publiée lundi matin, la sœur du leader nord-coréen, Kim Yo-jong, a prévenu que Pyongyang continuerait à surveiller les initiatives de Washington et de Séoul pour déployer davantage de moyens stratégiques américains dans la région, promettant de prendre des « contre-mesures correspondantes » à toute menace perçue. « La fréquence d’utilisation du Pacifique comme champ de tir dépend du type d’action des forces américaines », a-t-elle mis en avant dans un communiqué publié par KCNA. La Corée du Nord déclare avoir utilisé des « lance-roquettes multiples de très grande taille ».

Mais pour les Etats-Unis, il s’agit de « missiles balistiques de courte portée », explique le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un groupe de réflexion établi à Washington. Ainsi, l’armée sud-coréenne a affirmé avoir détecté le tir de deux missiles balistiques de courte portée lundi entre 7 heures et 7h11 (23 heures et 23h11 heure de Paris) qui ont parcouru une distance de 390 km pour l’un et de 340 km pour l’autre avant de tomber dans la mer de l’Est, en référence à l’étendue d’eau aussi connue sous le nom de mer du Japon.

Séoul a qualifié le lancement de « grave provocation qui porte atteinte à la paix et à la stabilité de la péninsule coréenne » et appelé Pyongyang à y mettre un terme « immédiatement ». A la demande du Premier ministre japonais, Fumio Kishida, le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira en urgence mardi après-midi à New York.

Source : FranceTVinfo.fr avec AFP / Photo : KCNA / EPA-EFE
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Voir aussi : Sources et références…
https://www.francetvinfo.fr/monde/coree-du-nord/la-coree-du-nord-tire-deux-missiles-balistiques-et-met-en-garde-washington-et-seoul_5669120.html
https://www.ouest-france.fr/monde/coree-du-nord/la-coree-du-nord-tire-un-second-missile-balistique-en-moins-de-48-heures-9c04bfd1-8078-4ab1-a52c-2e48b3311b4f
https://www.lefigaro.fr/international/la-coree-du-nord-tire-un-missile-balistique-non-identifie-20230218

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« Armées-Nation » Au coeur d’un nouveau modèle pour nos systèmes de défense

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« Armées-Nation » Au coeur d’un nouveau modèle pour nos systèmes de défense

Armées : il faut changer de modèle !

L’armée française se retrouve à cours de matériel et donc avec des difficultés à conduire des opérations lointaines. L’argent ne suffira pas, c’est bien un changement de modèle qui est nécessaire.

Remettre de l’épaisseur,
Retrouver des effets de levier,
Refaire de la nation le cœur de notre survivance !

« Nous sommes sur l’os… ! ». Qui n’a pas entendu nos grands chefs utiliser cette expression pour préciser que nous n’avons plus de marges de manœuvre sur le plan capacitaire, voire que nous sommes bien en deçà de l’acceptable pour assurer les missions assignées à nos armées. Il est évident qu’après trois décennies de rabotage budgétaire nous ne pouvons qu’être en limite basse en termes de suffisance opérationnelle (moyens, munitions, stocks stratégiques, personnels…) et que, pour reprendre un terme de marins, « nous talonnons ! ». A ce rythme la prochaine étape est « l’échouage » … Si cette politique financière avait permis de faciliter des réformes en profondeur pour notre pays, nous pourrions à la rigueur la comprendre. Mais cela n’a fait qu’alimenter une pseudo paix sociale à la petite semaine et nous ne pouvons plus l’admettre au vu des rendez-vous stratégiques qui sont devant nous.

La guerre en Ukraine sert de révélateur dans tous les domaines et a eu la vertu de réveiller les consciences endormies par des décennies de « dividendes de la paix ». Pourtant les signaux précurseurs n’ont pas manqué, mais chaque fois le relativisme et la bureaucratie ont effectué leur travail de neutralisation et de normalisation pour continuer à tirer vers le bas nos postures de défense. De fait « nous sommes bien sur l’os » et il nous faut avant tout « remettre de l’épaisseur » à tous les niveaux pour combler ou compenser ces faiblesses structurelles. La projection de corps expéditionnaire tous azimuts n’est plus dans nos moyens. Nous devons nous recentrer sur la défense de nos intérêts vitaux, la protection de notre territoire et remuscler notre dissuasion. Il faut changer de méthode et surtout de modèle !

« Remettre de l’épaisseur »

Certes nous avons développé des capacités marginales à très forte valeur-ajoutée pour « faire autrement » quand nous ne pouvions plus « faire normalement » du fait de l’érosion de nos forces conventionnelles. Ce fut le cas au cours de ces trois décennies avec la montée en puissance des opérations spéciales. Par leurs performances indéniables, notamment dans la lutte qualifiée « d’anti-terroriste » en Orient et en Afrique, elles ont assuré au pouvoir politique la garantie d’une posture opérationnelle à succès avec une forte résonance médiatique auprès des opinions publiques. Cela a plutôt bien fonctionné. Dans ce contexte les OPEX ont au moins eu le mérite de permettre à toutes ces composantes de se tester et d’acquérir une courbe d’expérience considérable. Mais avec l’Ukraine nous passons à autre chose et le travail de sur-mesure de nos forces spéciales doit désormais s’intégrer dans des schémas complexes de combat de haute intensité, avec un retour de confrontations de masse sur des lignes de front que nous n’avons plus connues depuis les grandes guerres mondiales. Comme le citait Goethe « nous avons déjà pensé à tout mais il nous faut tout réinventer ».

Il en fut de même avec les deux fonctions essentielles que sont le renseignement et la logistique, armes souvent considérées comme secondaires dans notre culture militaire, mais qui se sont avérées cruciales au cours de ces dernières décennies pour accompagner nos projections de corps expéditionnaires sur des conflits hybrides, au sein d’alliances, sur des terres lointaines (Afghanistan, nœud syriaque, Sahel). Ces composantes souvent qualifiées de soutiens, alors que ce sont des précurseurs qui conditionnent le succès des opérations, ont permis sur le terrain de faire face avec beaucoup de réactivité et aussi d’inventivité dans les modes d’action, à de nouveaux modes d’adversités (cf. les techniques de guérillas pratiquées par les groupes islamiques, mais aussi les méthodes de désinformation et déstabilisation des SMP comme Wagner, ainsi que l’utilisation de technologies duales et des réseaux sociaux).

Nous avons aussi compensé la baisse de nos moyens avec de la haute technologie et une professionnalisation remarquable de nos forces. Nos armées sont de fait réduites en nombre mais elles sont plus performantes du fait des technologies embarquées et du niveau de formation de nos combattants. Ce qui suppose aussi un niveau de soutien et de maintenance non négligeable (pour un fantassin au combat il en faut en moyenne neuf en soutien). Néanmoins, pour nos spécialistes, avec les moyens actuels, nous ne pourrions tenir qu’un front de 80 kms, soit Dunkerque – Lille, là où nos anciens furent en mesure de tenir un front de 750 kms lors de la première guerre mondiale…Et que penser de nos capacités de feu qui n’excéderaient pas une semaine en termes de stock de munitions… De nouveau le conflit en Ukraine, et surtout les risques de confrontations pressenties notamment en Mer de Chine et en Méditerranée orientale, posent la question des masses critiques et du niveau de rusticité qu’il faudrait désormais être en mesure d’assumer face à des armées qui utilisent des centaines de milliers d’hommes et un déluge de feu sans précédent pour arriver à leurs fins.

Ces armées ont recours à la conscription et à la mobilisation de réserves considérables. Par ailleurs elles se battent avec des doctrines basiques similaires à celles de la guerre de 1914, que nous qualifions certes d’archaïques et de barbares, mais qui s’avèrent dimensionnantes actuellement dans les conflits (cf. les enseignements sur la Syrie, le haut Karabagh et le niveau de consommation d’obus d’artillerie sur le Donbass ). De notre coté nous n’avons plus la conscription et nous avons des réserves qui sont réduites à la portion congrue malgré tous les effets d’annonce vertueux de ces dernières années… Nous faisons confiance à l’intelligence embarquée dans nos moyens, qui sont de plus en plus sophistiqués, en prétendant que cela sera suffisant pour casser ces armées « ringardes » dotées d’équipements datant de la guerre froide… Les évènements nous démontrent qu’il faut faire preuve d’un peu plus d’humilité, ces armées n’ayant pas la même notion de l’attrition et de la vie humaine que nous… Avec une société soumise à la religion du « bien-être » , et soyons honnêtes peu résiliente, nous ne remplissons pas les mêmes critères en termes de résistance morale et physique aux chocs que ceux que pourraient nous infliger ces adversaires qui n’ont pas nos états d’âme…

Certes nous avons l’impression actuellement que le corps politique, pas seulement en France mais sur tout le continent européen, subi un électro-choc devant l’intensité et la brutalité des combats sur l’Ukraine. Mais eut-il fallu qu’ils aient eu les mêmes réactions lors des évènements sur les Balkans, qui ont fait rappelons-le de l’ordre de 100 000 morts (200 000 selon les médias). Il en fut de même au Moyen-Orient avec les enchainements post-Irak sur le nœud syriaque qui ont fait quasiment le même nombre de victimes. Nous sommes déjà au-dessus ces seuils pour l’Ukraine (si nous acceptons d’intégrer les chiffres des 14 500 morts civils et militaires de la guerre du Donbass depuis 2014) cette guerre n’ayant pas commencé en février 2022… Chaque fois les niveaux de brutalité et d’inhumanité ont augmenté franchissant des seuils que les ONG et les organisations internationales n’ont cessé de recenser et d’expliciter pour alerter nos dirigeants. La réponse de ces derniers fut l’invention sémantique des « lignes rouges » à ne pas franchir, mais sans postures réelles et crédibles… Tous ces théâtres d’opération furent des laboratoires, notamment pour les armées Russes et Turques, qui désormais stressent notre flanc oriental et méridional. Heureusement que la posture de dissuasion, assise sur notre signature nucléaire, dont la crédibilité repose sur la permanence à la mer de nos SNLE et sur les capacités de frappes de nos composantes aéroportées (FAS et FAN), n’a pas subi le même niveau d’altération, voire de destruction systématique, que pour nos moyens conventionnels.

« Retrouver des effets de levier »

Aujourd’hui le temps n’est plus aux lamentations mais à la reconstruction d’un modèle rachitique en s’appuyant sur cette épaisseur tactique qu’offre ces quelques composantes à forte valeur ajoutée éprouvées aux cours de ces dernières décennies (Les opérations spéciales, le renseignement, la logistique et l’intelligence embarquée). Il faut dès lors trouver en les utilisant bien des possibilités de générer des effets de levier sur le plan opérationnel partout où cela est possible. Il est évident que tous ces moyens, en s’intégrant intelligemment dans des schémas plus élaborés de combat de haute intensité, peuvent devenir des « démultiplicateurs de forces ». Le terrain ukrainien est à ce tire précieux en termes d’enseignements. Sans augurer des résultats sur l’avenir, ils ont permis pour le moment de casser l’offensive initiale de l’armée russe et de lui infliger de sérieuses difficultés sur le plan stratégique. Le renseignement et les opérations spéciales ont joué un rôle déterminant pour frapper des cibles à haute valeur ajoutée (commandements, QG, bâtiments emblématiques de la flotte Russe, bases aériennes, etc.). La logistique a été aussi particulièrement dimensionnante pour permettre de tenir le « battle-rythm » sur les lignes de front. Certes ce n’est pas suffisant, tous les experts sur nos plateaux TV disent qu’il faut aussi de l’infanterie, de l’artillerie, des munitions et désormais des chars… mais sans ces capacités spécifiques, et très entrainées par les anglo-saxons, l’armée ukrainienne aurait été déjà laminée.

Il faut préciser que ces « démultiplicateurs d’efficacité » sont à la fois armés par des professionnels très aguerris, mais surtout par une réserve et une garde nationale tout aussi importante, avec beaucoup d’engagés volontaires (cf. les opérateurs ferroviaires et les équipes de la sécurité civile). A ceci il faut ajouter l’effet de levier permis par le déploiement de hautes technologies ou de technologies duales (comme les essaims de drones) , ainsi que l’IA (cf. le déploiement des capacités de Starlink et le traitement des métas données en termes de renseignement opérationnel avec des méthodes très décentralisées) qui permettent aux forces de mieux résister, voire de mener des offensives concluantes. Toutes ces capacités sont assises sur des compétences civiles, avec en arrière-plan une société particulièrement résiliente. Où en sommes-nous sur ce plan ? Qu’avons-nous fait de nos réserves ? Quel est le niveau réel de résilience de notre pays? Comment se situent les capacités de réponse duale entre nos industries civiles et militaires s’il fallait développer un véritable effort de guerre sur le plan économique ? l’Ukraine a révélé nos vulnérabilités et insuffisances sur ces questions…

En fait ce conflit sur « l’intermarium » européen nous interpelle bien au-delà le simple budget des armées, qui devrait enfin pouvoir retrouver un peu d’oxygène avec la RNS. Les marins diront que nous allons juste retrouver « un peu d’eau sous la quille » pour redevenir manœuvrants. Cela va bien au-delà les débats technologiques, certes nécessaires, mais désormais insuffisants face aux masses critiques de nos adversaires. La réflexion va aussi au-delà le monde des professionnels de nos armées, qui a un peu confisqué ces dernières décennies le partage des enjeux sur ces questions en l’enfermant sur des doléances budgétaires. Il nous interpelle avant tout sur les liens « Armées-Nation », pas ceux qui animent nos grandes commémorations parfaitement scénarisées, mais ceux qui conditionnent sur le fond les notions d’engagement au sein du pays.

Qu’est ce qui est de l’ordre du tolérable ou non en termes de relations de puissance ? Qu’est ce qui est soutenable ou non en termes « de compétition, de contestation et d’affrontement » entre les pays ? Qu’est ce qui est de l’ordre de la survivance pour la France et les Français ? Le modèle israélien où l’on apprend à se battre à un contre dix est peut-être celui que nous devrions regarder de plus près, même s’il parait forcément décalé et extrême pour nos sociétés très protégées. Quand nous n’avons plus la démographie, plus de moyens et des capacités réduites, comme c’est désormais le cas, il faut apprendre à survivre et à trouver ces effets de levier qui permettent de conserver l’initiative (le renseignement), à obtenir la décision (les opérations spéciales et la logistique) et à confirmer la victoire (la pertinence opérationnelle et des armements conventionnels suffisants). Il faut surtout retrouver le sens du courage à tous les niveaux, en premier lieu sur le plan décisionnel au niveau politique en termes d’arbitrage !

Soyons lucides et arrêtons de nous conter des histoires pour nous rassurer ou nous confiner dans un déni collectif qui s’avèrerait suicidaire. « Nous sommes sur l’os ! ». Nous devons retrouver le sens du vital ! Cette question n’est pas que comptable, c’est une affaire de volonté. Non pas de quelques prétoriens mais de tout un peuple ! C’est un peu ce que les Ukrainiens et Russes, quelles que soient nos opinions ou émotions sur le sujet, nous démontrent quotidiennement des deux côtés. Ne sous-estimons pas, malgré les propagandes qui saturent nos écrans de part et d’autre, ce niveau de volonté et d’engagement réciproque qui déjoue tous les pronostics des experts accrédités de nos plateaux TV. Les confrontations de puissance sont toujours de cet ordre. Là aussi quel que soit notre sentiment sur ce conflit, il est d’abord l’expression des volontés ou des impuissances des uns et des autres. La pandémie nous a montré aussi que c’était une question majeure de souveraineté !

« Refaire de la nation le cœur de notre survivance »

Il est encore temps de « remettre de l’épaisseur » dans nos systèmes de défense. Pour cela il faut absolument raisonner différemment. Il faut retrouver de la souplesse quand il y a de la bureaucratie, de la réactivité quand il y a excès de centralité, de la fluidité quand il y a trop de rigidité dans les modes opératoires et surtout de l’audace quand il y a de l’excès de précaution… Mais il faut surtout admettre que nos intérêts vitaux sont désormais vulnérables et que les niveaux de menaces sont désormais proches du territoire, voire insidieuses au sein du territoire ! Pour cela il faut aussi remettre de la masse critique. Elle n’est pas que matérielle ! Elle est aussi humaine ! En cela la question des réserves est absolument cruciale. Sa mobilisation, son employabilité et son rayonnement constitueront des « effets de levier » pour rattraper au sein de notre société le gâchis des trois dernières décennies.

Certes l’armée professionnelle a d’autres sujets plus importants que le traitement de cette question pour passer d’un modèle de corps expéditionnaire à une armée de corps de bataille capable d’agir de façon autonome ou au sein d’une alliance. Mais dans ce contexte inventons un mode opératoire civilo-militaire à la Suisse ou à l’Israélienne qui permettrait d’avoir une seconde couche de résistance, d’intelligence répartie partout sur le territoire et de flexibilité d’emploi. Cela ne pourra que contribuer à renforcer encore plus nos postures globales de dissuasion en durcissant nos capacités de résistance sur le plan systémique. Là aussi les exemples ukrainiens mais aussi polonais, finlandais, suédois et bien entendu anglo-saxons sur cette proximité des armées avec leurs populations devraient nous aider à innover en la matière. Cela suppose aussi de changer la relation hiérarchique qui prédomine entre l’Etat, nos armées et la société civile, sans pour autant remettre en question « l’autoritas » du régalien qui prévaut pour les questions stratégiques (cf. l’emploi du nucléaire). Cela exige d’avoir une gouvernance plus décentralisée et de développer des relations de confiance entre les parties. Ce que nous avons plus ou moins bien géré jusqu’à présent. Des partenariats dits citoyens sont toujours très beaux sur le papier, sympathiques sur le plan médiatique mais ne valent pas grand-chose sur le plan opérationnel en termes d’efficacité collective. Là aussi soyons honnêtes et un peu plus réalistes dans nos modes de coopération « Armées-Nation » !

Il faut « mettre de l’épaisseur » dans nos systèmes de défense et cela ne peut être limité à la seule lutte contre le terrorisme, même si celle-ci reste une priorité indéniable sur le plan sécuritaire. Ce n’est plus suffisant ! Il faut renforcer notre posture de dissuasion par une véritable mobilisation de toutes nos ressources au niveau national avec un véritable pilotage de leurs valeur-ajoutées respectives que ce soit sur les plans économiques, industriels, financiers, mais aussi en termes de résilience au niveau de nos infrastructures vitales (collectivités territoriales, réseaux critiques), qu’en termes de ressources humaines qu’elles soient à usage militaire ou simples renforts civilo-militaires. A ce titre il faut redéfinir le rôle des correspondants défense et en faire de véritables liens quasi organiques de notre système de défense depuis le local, en passant par les entreprises jusqu’au niveau des grandes institutions publiques. Ils doivent devenir autre chose que de simples ordonnateurs de commémorations afin que les élus aient leur photo dans le journal, même si c’est nécessaire pour assurer leur réélection… et accessoirement entretenir le devoir de mémoire localement…

Il en est de même pour la Réserve avec un grand R. Sur ce registre il faut arrêter de démultiplier les réserves : opérationnelles, citoyennes, sanitaires, sécuritaires etc. Cet artifice sémantique qui convient aux salons mondains ne parle absolument pas à nos concitoyens. Il en faut une et une seule, une vraie qui soit valorisée au plus haut niveau sur le plan politique, pilotée avec un management civilo-militaire adapté, visible sur le terrain et qu’elle soit reconnue pour ses services et mérites. Il faut absolument simplifier la signature de cette composante stratégique pour le pays et en sacraliser l’engagement et le volontariat sinon nous reviendrons à l’état dégradé que nous connaissons aujourd’hui et qui est totalement insatisfaisant au regard des risques perceptibles pour notre pays. Ne nous faisons pas d’illusions ces risques ne feront que s’amplifier après l’Ukraine, nous n’en sommes qu’à l’apéritif… A cet effet nous devrions sans cesse méditer les constats faits en 1939 par ce réserviste, et par la suite grand résistant, que fut Marc Bloch lorsqu’il a écrit L’étrange défaite. Tous nos politiques devraient absolument lire ce livre !

Il faut repenser nos logiques de combat et démultiplier nos capacités de résistance. Pour un qui part au front il en faut neuf qui l’assistent et le soutiennent sur les arrières, quand lui doit apprendre à se battre à un contre dix… Ce changement de paradigme suppose une autre ingénierie de notre vision de la défense pour notre pays. Nous pouvons très bien perdre sans combattre avec cet esprit comptable et bureaucratique qui a conditionné le fonctionnement de nos armées depuis quelques années. Ceux qui gagnent savent très bien qu’un leadership et des victoires sont le fruit d’un esprit combattif et non d’un bon mécénat ou pire d’un raisonnement sur la valeur liquidative d’un actif…. Les grands sportifs, qui sont devenus la référence pour beaucoup, ou nos grands chefs d’entreprise, qui tiennent des lignes de front impitoyables sur le plan international, le savent bien. Être respecté a un prix quand on veut être parmi ceux qui se respectent. La victoire est un état d’esprit ! On l’a ou on ne l’a pas !

Pour cela il faut ce supplément d’âme qui est à la base de toute survivance et espérance pour un pays. Il ne faut pas craindre de mourir, de toute façon la peur n’empêche pas la mort ! Il y a ce qui est de la finitude humaine et il y a aussi ce qui est de la finitude des peuples. Ce n’est pas qu’une question budgétaire et comptable, même si ce point est incontournable en termes de réalité. C’est une question plus profonde qui est de l’ordre du civilisationnel. Il constitue pour notre pays une urgence en termes d’éducation et pas seulement d’agitation médiatique. Il faut juste savoir ce que nous voulons car tout est question de volonté. C’est à ce titre que l’engagement de chacun et d’une nation sont des valeurs sacrées que nous devons remettre à l’ordre du jour !

Il est encore temps…

Source : Revueconfllts.com par Xavier Guilhou / Photo : 14 juillet 2019 – theatrum-belli.com
~ FNCV, Actualité et revue de presse ~

Voir aussi : Sources et références…
https://www.revueconflits.com/armees-il-faut-changer-de-modele/
Télécharger l’article en PDF : https://www.xavierguilhou.com/wp-content/uploads/2023/02/Edito-XG-fevrier-2023.pdf

 

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Défense nationale : Oser, anticiper, coopérer ou accepter une relégation de la France ?

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Défense nationale : Oser, anticiper, coopérer ou accepter une relégation de la France ?

Osons un débat politique sur notre défense

François Cornut-Gentille, membre honoraire du Parlement, spécialiste des questions de défense. plaide en faveur d’une approche politique et globale des sujets de défense et suggère de confier au Parlement l’inventaire de nos dépendances.

Les questions de défense nationale restent traditionnellement confinées dans d’étroits cénacles. Depuis le déclenchement par Vladimir Poutine de son opération spéciale en Ukraine, les voici désormais installées au cœur de l’actualité. Généraux de deuxième section et spécialistes se succèdent sur nos écrans pour commenter les opérations en cours. Ils sont aussi régulièrement sollicités par les journalistes pour répondre à des questions bien plus larges sur le contexte national. Qu’en est-il de notre défense ? Est-elle au niveau ? Nos armées seraient-elles en mesure de faire face à un conflit du type de celui que nous voyons en Ukraine ? Combien de temps pourraient-elles tenir ? Sommes nous bien préparés aux guerres du futur ?

Dans leur réponse, les experts évoquent invariablement la notion de conflits de haute intensité pour lesquels nous ne sommes pas prêts. Tout en reconnaissant la qualité de nos équipements, ils soulignent leur caractère échantillonnaire et la nécessité de parvenir à faire masse. A leurs yeux, la mauvaise idée d’engranger les dividendes de la paix nous a conduit à baisser dangereusement la garde. Il est temps de remonter la pente en affectant les moyens indispensables. Face à ces propos inquiétants, les responsables gouvernementaux répliquent que la France dispose d’une des rares armées au monde maîtrisant toutes les compétences jusqu’à celle de la dissuasion nucléaire. Quant à l’effort financier, il est déjà amorcé et devrait s’intensifier dans les prochaines années. Il n’y a donc pas lieu de s’affoler. Bref, un discours rassurant qui relativise les remarques alarmistes. Que faut-il penser ? Les citoyens restent perplexes devant ces jugements contradictoires.

La prise de décision n’est pas suffisamment éclairée

Ces appréciations divergentes reflètent un débat qui se déroule d’habitude à huis clos. Deux camps s’opposent : les dépensiers contre ceux qui veulent faire des économies. D’un côté, les armées et les industriels et, de l’autre, Bercy. Entre eux, le rapport de force est permanent. En dépit de travaux de qualité, le rôle des commissions parlementaires est, hélas, secondaire. Il se limite – il est vrai parfois avec succès – à relayer les demandes des armées et des industriels. En fait, le temps véritablement politique se réduit à l’arbitrage final du président de la République. La vérité est que la prise de décision n’est pas suffisamment éclairée. A aucun moment et à aucun niveau il n’est procédé à un questionnement global du système. Tel qu’il se déroule, c’est-à-dire sous un angle purement technique et financier, le débat ne permet pas d’aborder les véritables enjeux. C’est ainsi que notre politique de défense résulte d’une série de compromis, alors qu’elle devrait exprimer une vision et un message de la France.

Exprimer ce regret ne relève pas d’un romantisme désuet. Car cette impasse ne peut conduire qu’à des erreurs, sinon à des catastrophes. Dans la situation où nous nous trouvons, un débat véritablement politique est indispensable pour nous aider à faire les choix pertinents. La délibération collective doit porter sur trois plans : quelle ambition pour notre défense ? Quel type d’armée ? Quelles alliances ? Evidemment, les trois niveaux d’interrogation sont étroitement imbriqués. L’éclairage d’experts est, à coup sûr, le bienvenu ; mais il ne saurait se substituer au débat politique qui nous manque et dont je veux esquisser ici les contours.

Une certaine idée de la France

Quelle part de notre richesse nationale sommes-nous disposés à consacrer à notre défense ? Passée au second plan depuis longtemps, cette question se pose à nouveau avec acuité dans un environnement international de plus en plus conflictuel. Chacun doit être conscient que la réponse apportée n’est pas seulement budgétaire et technique. Il en va, aussi et surtout, d’une certaine idée de la France et de sa politique. Quel rôle voulons-nous jouer dans le monde d’aujourd’hui ? Et, d’abord, souhaitons-nous continuer à jouer un rôle singulier ? Pour apprécier correctement le choix devant lequel nous nous trouvons, il faut rappeler en deux mots où nous en sommes et, aussi, établir une comparaison avec nos voisins.

Après avoir atteint un pic (5,4% du PIB en 1960) au moment de l’édification de la force de frappe nucléaire, notre effort de défense a lentement et régulièrement reculé. Plus précisément, il est descendu à 2,5% sous Georges Pompidou pour remonter jusqu’à 2,9% sous Valéry Giscard d’Estaing. Il connaît par la suite une chute continue sous les mandats de François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy (de 2,4% à 1,6%). De 1990 à 2015, en euros constants, le budget de la défense enregistre une érosion de 20% de ses crédits.

C’est François Hollande qui amorcera une légère reprise, ou plutôt une stabilisation à la suite des attentats terroristes de 2015. Mais le retournement de la courbe est à mettre au crédit d’Emmanuel Macron. Ce seront d’abord cinq marches budgétaires successives de 1,7 milliard d’euros de 2018 à 2022. Pour 2023, c’est une progression encore plus forte de 3 milliards d’euros qui a été votée par le Parlement. Enfin, deux marches complémentaires de 3 milliards d’euros sont prévues en 2024 et 2025 afin de porter notre budget de la défense à 50 milliards d’euros (soit 2% du PIB). Jusqu’à présent, budget après budget, la Loi de Programmation Militaire (LPM) est scrupuleusement respectée, ce qui n’était plus le cas depuis longtemps.

On le voit, même si l’inflation vient l’altérer, le redressement entrepris est incontestable. Le paradoxe est que le risque de décrochage est plus fort que jamais en dépit de cet effort soutenu et exceptionnel. Pour s’en convaincre, il faut jeter un regard sur l’évolution de nos voisins. Le budget britannique dépasse le nôtre d’environ 10 milliards d’euros (pour un peu plus de 2% du PIB). Avec un différentiel de PIB encore plus important, le budget allemand est également légèrement supérieur au nôtre, pour un budget qui ne représente que 1,3% du PIB. Tel est l’état des choses lorsque s’amorce l’année 2022. Sur le plan financier, la France est un peu en retard, mais ce handicap reste tout à fait surmontable, notamment compte tenu des nombreuses faiblesses de la Bundeswehr. Avec l’armée britannique, la France dispose de l’outil militaire le plus crédible d’Europe.

Vers une relégation de la France ?

En quelques mois, la guerre en Ukraine vient bouleverser cet état des lieux ancien qui paraissait immuable. Les réactions anglaise et allemande sont immédiates et sans commune mesure avec celle de la France. En Allemagne, Olaf Scholz annonce d’emblée un fonds de modernisation des armées de 100 milliards d’euros sur quatre ans et, à l’horizon 2030, un budget de la défense porté à 2% du PIB. Pour leur part, les britanniques évoquent à cette échéance un budget de 100 milliards de livres (112 milliards d’euros, soit 3% de leur PIB).

Côté français, aucune annonce comparable. On se borne à confirmer la remontée en puissance (mais sans apporter aucune précision chiffrée) tandis que des discussions tendues se poursuivent entre les ministères et les états-majors. Ce n’est que fin janvier qu’Emmanuel Macron annonce un arbitrage à hauteur de 413 milliards d’euros sur sept ans (dont 13 milliards de recettes extra-budgétaires non assurées). Même avec un coût de l’inflation évalué à 30 milliards d’euros, la hausse des crédits est significative. Elle reste néanmoins très inférieure à celle qui est envisagée par nos voisins.

Certes, en matière militaire, le budget ne fait pas tout. Mais, à ce stade, le différentiel qui s’amorce devient tel qu’il aura nécessairement des conséquences. La dimension politique, notamment européenne, d’un tel événement n’échappe à aucun observateur. Alors que nos dirigeants se gardent d’évoquer le problème, une relégation devient possible, sinon probable. Aussi, la question est-elle simple : l’acceptons-nous comme l’inéluctable résultat de l’évolution de notre PIB ou sommes-nous déterminés à réagir ?

En ce dernier cas, il faut savoir que la France sera dans l’obligation de porter son effort de défense sensiblement au-delà de 2,5% du PIB. En soit, le propos n’est pas incongru. Ce serait simplement retrouver le niveau d’investissement qui était le nôtre il y a une cinquantaine d’années. Mais, aujourd’hui, ce retour en arrière est-il compatible avec nos multiples priorités, et, surtout, avec notre niveau d’endettement ? Ce débat, difficile mais incontournable, n’est pour l’instant engagé ni par la majorité ni par l’opposition. Il est malheureusement à craindre que ce silence ne soit pas fortuit mais témoigne d’un renoncement non assumé.

Un outil militaire avant tout efficace

Flous sur les moyens nécessaires à notre ambition, nous le sommes également sur la pertinence de notre instrument de défense. De quelle armée avons-nous besoin ? Il ne s’agit plus de déterminer combien nous voulons dépenser, mais de s’interroger sur la qualité de la dépense. La transformation rapide de l’environnement mondial, avec un puissant processus de réarmement, doit nous inciter à entreprendre rapidement cette réflexion. En réalité, cette instabilité n’a rien de neuf ; c’est une constante historique. Avec le recul, nous constatons que l’évolution permanente du contexte géostratégique nous oblige à réexaminer nos priorités tous les 25 à 30 ans. A chaque fois, cela implique, si nécessaire, de remettre en cause nos conceptions et nos outils militaires. L’armée de la guerre froide n’est pas celle des OPEX. Quelles orientations nous faut-il prendre aujourd’hui ?

La rigidité naturelle du système, notamment des lourds et longs programmes d’équipements, rend l’entreprise de questionnement toujours difficile. En France, la réflexion est en outre bridée par le recours obsessionnel à un concept faussement sécurisant : nous nous piquons de disposer d’un modèle d’armée « complet ». Or, cela ne veut rien dire. La seule chose qui compte est que nos armées soient capables de dissuader un éventuel agresseur, et, en cas de conflit, de le repousser. L’outil militaire n’a pas à être complet. Le jour venu, il doit être efficace ; c’est-à-dire offrir une réponse adaptée à la menace ou au type d’agression subie.

Un handicap structurel

C’est dans cet esprit qu’un exercice de lucidité et de questionnement doit être conduit. Celui-ci doit d’abord porter sur la logistique. Le débat sur les grands équipements (sous-marins, porte-avions, avions de combat, …) est beaucoup plus valorisant, ce qui lui permet de monopoliser l’attention des gouvernements et d’obtenir plus facilement les crédits. Mais c’est la qualité de la logistique qui détermine l’efficacité réelle d’une armée. Dissuader, c’est d’abord pour la France d’être en mesure d’envoyer 5.000 à 10.000 hommes partout où nous jugeons nos intérêts menacés. Cependant, il ne suffit pas de savoir le faire, ce qui relève déjà du défi. Il faut être capable de le faire rapidement, ce qui est encore plus délicat. A cet égard, l’opération Barkhane a fait ressortir nos capacités mais aussi nos limites, en particulier dans le transport stratégique.

La guerre en Ukraine a par ailleurs confirmé ce que les chefs d’Etat-major successifs soulignent depuis quelque temps. Le retour possible en Europe d’une guerre dite de haute intensité. Une forme de conflit que nous avions oublié dans nos opérations extérieures asymétriques. C’est le retour de l’effet masse (en hommes et en équipements) qui permet de tenir un front et de durer. Après une longue et forte décrue, nous devons planifier une remontée des effectifs, tout spécialement de l’armée de terre. La gestion des réserves redevient également un enjeu important. C’est à juste titre que le gouvernement souhaite les faire progresser de 40 000 à 100 000 hommes.

En ce qui concerne les équipements, tous les observateurs insistent sur la faiblesse de notre artillerie et notre carence en drones (pour ne mentionner que deux points parmi les plus criants). Mais l’on peut également citer le format réduit de notre armée de l’air (sensiblement en dessous des objectifs plutôt modestes fixés par la LPM) et le sous-dimensionnement de notre marine au regard de notre espace maritime. Enfin, avec un peu plus de 200 chars, notre armée de terre est à la moitié des effectifs de la Bundeswehr. Chiffres tous deux dérisoires si l’on se réfère aux opérations en Ukraine. Certains imputent cette faiblesse au nucléaire dont le coût aurait un effet d’éviction sur les matériels classiques. Il est vrai que le budget consacré à nos forces conventionnelles n’est pas à la hauteur des missions qui leur sont confiées et que cette situation constitue depuis longtemps un handicap structurel.

C’est ainsi que la question des stocks se pose en général, et en particulier pour les munitions. Des chiffres plus ou moins sérieux ont circulé. Ce qui est sûr, c’est que nous serions aujourd’hui dans l’incapacité de faire face à un conflit qui se prolongerait. Face à ce constat, le gouvernement a développé le concept d’économie de guerre. Cela donne lieu à une sympathique communication dont le volontarisme apparaît néanmoins quelque peu déconnecté des réalités. En cas de besoin, le gouvernement demande aux industriels de pouvoir augmenter rapidement leur production. Excellente idée, mais difficile à mettre en œuvre, car cette exigence requiert des investissements conséquents que les PME ne peuvent pas engager dans la seule perspective d’une éventuelle commande…

La question cruciale des stocks est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. C’est un virage à 180 degrés qui doit être pris. Il consiste à abandonner la gestion des armées « en mode entreprise » qui a tenu lieu de modernisation durant plusieurs décennies.

Anticiper la guerre de demain

Si la guerre en Ukraine réhabilite incontestablement l’effet masse, elle soulève dans le même temps bien d’autres sujets de réflexion. Et, parfois, dans un sens apparemment contradictoire. Par exemple, quelle conclusion faut-il tirer de l’impressionnante destruction des chars, des hélicoptères et autres avions de combat ? Le spectaculaire envoi par le fond du navire amiral Moskowa est également à méditer. Pour se rassurer eux-mêmes, les militaires en attribuent la responsabilité à l’imprudence de la marine russe, ce qui est partiellement vrai. Mais, à l’évidence, la vulnérabilité de ce type de bâtiment doit désormais être sérieusement prise en compte. Dans ce conflit, il n’est pas si simple de savoir discerner ce qui relève du passé de ce qui préfigure l’avenir.

En effet, la difficulté principale consiste à anticiper la guerre de demain, qui, par définition, ne ressemblera pas à celle du passé. Nous devons nous demander quelles sont nos lignes Maginot d’aujourd’hui. Cela implique une grande attention aux percées technologiques et aux nouvelles pratiques qu’elles induisent. Toutefois, si la technologie est essentielle, elle ne doit pas nous aveugler. Le point décisif consiste à déceler, parmi les innovations, celles qui entraînent une rupture tactique ou stratégique. Plus que jamais, ce qui se passe dans l’espace aérien – drones, missiles hypersoniques, satellites – semble devoir à terme rebattre les cartes.

Cet espace, qui va de la très basse altitude à l’extra-atmosphérique, est en train d’acquérir une dimension inédite. Avons-nous pris la mesure de ce basculement ? Je ne le crois pas. Notre incapacité, depuis vingt ans, à combler notre retard sur les drones n’est pas rassurante. Quant au spatial, il n’est certes pas oublié ; mais les grands équipements traditionnels restent prioritaires. Est-ce le bon choix ? Sur ces sujets extrêmement complexes, le débat n’est pas une perte de temps, c’est une étape indispensable pour ne pas rester prisonniers de nos habitudes.

Un risque de manquer les ruptures stratégiques

Tout ce qui précède doit nous conduire à repenser la manière dont sont conçus et décidés ces grands programmes d’armement. Ces derniers sont jusqu’à présent le résultat d’un compromis entre les armées et les industriels avec, pour couronner le tout, un arbitrage effectué par des gouvernements qui n’ont qu’une vision très expéditive des problèmes. Cette méthode, par nature conservatrice des situations acquises, nous expose au risque non négligeable de manquer les prochaines ruptures stratégiques. Là encore, seul un débat politique digne de ce nom peut nous en préserver. Cependant, depuis la disparition de Jacques Chirac et de sa génération, l’absence de culture de défense de la classe dirigeante constitue un sérieux obstacle. Il nous manque des généralistes politiques qui, sans être pour autant des experts, disposeraient néanmoins d’une vraie sensibilité à la chose militaire.

Cette défaillance est particulièrement regrettable dans le domaine du nucléaire. S’il convient d’être prudent sur le sujet, le danger existe aussi de rester figé sur les outils ou la doctrine. Jusqu’à présent, le seul débat ouvert porte sur la suppression de la composante aérienne de la dissuasion. Cette idée est régulièrement avancée, notamment dans l’espoir de gains financiers. Mais c’est oublier que l’économie réalisée serait très modeste et, surtout, que la crédibilité de notre dissuasion repose essentiellement sur la complémentarité de ses deux composantes.

A long terme, une réflexion globale et innovante sur les vecteurs n’est cependant pas à écarter pour tenir compte des percées technologiques actuelles et prévisibles. A court terme, un problème beaucoup plus urgent nous est posé par Vladimir Poutine. Celui-ci a en effet inauguré en Ukraine un nouvel usage de la dissuasion. Pour une puissance nucléaire, il y aurait possibilité d’attaquer sans risque majeur un pays non-doté de l’arme atomique. Il est malheureusement clair que ce permis d’agresser d’un nouveau type ouvre des perspectives inquiétantes qui viennent bouleverser les fragiles équilibres internationaux. Quelles conséquences en tirer pour notre doctrine et nos alliances ?

Des coopérations industrielles au point mort

Le troisième domaine dans lequel nous repoussons un débat politique qui devient chaque jour de plus en plus indispensable est celui de nos alliances industrielles et stratégiques. Durant son mandat, Nicolas Sarkozy avait impulsé une double démarche. Les accords de Lancaster House (signés en 2010) instauraient un partenariat privilégié avec les britanniques. Il s’agissait à la fois d’encourager les échanges entre nos deux armées et de développer nos coopérations industrielles et techniques (y compris dans le nucléaire). L’entreprise MBDA était le symbole de cette entente.

Par ailleurs, la décision avait été prise de s’engager pleinement dans l’OTAN afin d’y peser davantage. Si cette politique n’a jamais été officiellement abandonnée, il faut cependant reconnaître qu’il ne subsiste désormais plus grand chose de l’ambition initiale. Avec François Hollande s’est amorcé un changement de cap validé et amplifié par Emmanuel Macron. Depuis 2017, une double priorité s’est imposée : celle du franco-allemand et celle de l’Europe de la défense. Or, le moins que l’on puisse dire est que les choses ne se passent pas du tout comme nous le souhaitions.

Sur le plan industriel, il faut rappeler que la relation franco-allemande est historiquement marquée par la rude compétition entre Naval Group et TKMS dans le domaine des sous-marins. Si l’on examine les principaux domaines de coopération, le bilan apparaît plus que mitigé. On peut même parler d’échec sur trois dossiers. Le programme d’artillerie du futur est mort-né. Pour la rénovation de l’hélicoptère Tigre et l’avion de patrouille maritime, l’Allemagne s’oriente vers des achats de matériels américains. Autre point de divergence préoccupant : le spatial où l’on passe progressivement de la coopération à la compétition. En fait, il n’y a que l’Eurodrone qui soit véritablement sur les rails.

Deux projets sont particulièrement importants et emblématiques. Le char du futur (MGCS) est une coopération entre Rheinmetall, KMW et Nexter avec un leadership allemand. Pour l’avion du futur (SCAF), le partenariat principal réunit Dassault et Airbus avec un leadership français. Sur ces deux sujets, la communication politique minimise les difficultés et survend les avancées. On laisse entendre que tous les obstacles sont surmontés ou en passe de l’être. Pourtant, à ce stade, rien n’est définitivement acté. Aucun des deux projets n’a franchi le cap décisif qui permettrait de dire qu’il verra bien le jour. Le moment de vérité n’interviendra que dans deux ou trois ans.

D’ici là, il peut se passer bien des choses. Sur le MGCS, de vives tensions entre les industriels persistent sur la conception de la tourelle et sur le canon. Sur le SCAF, c’est encore plus grave. Dassault et Airbus n’ont toujours pas la même approche du projet, notamment de la priorité à donner à l’avion lui-même ou bien au système qui l’accompagne. Mais ce n’est pas tout. En dépit de l’accord conclu entre les gouvernements, le risque d’une rupture politique n’a pas disparu. A tout moment, le Bundestag peut en effet décider de conditionner le vote des crédits nécessaires à de nouvelles exigences. C’est d’ailleurs ce qui s’est déjà produit et qui peut évidemment se reproduire.

Europe de la défense : un aveuglement obstiné

Sur tous ces sujets, ce ne sont pas seulement les désaccords industriels et politiques qui doivent être surmontés. On oublie souvent un obstacle initial : les attentes des armées françaises et allemandes sont rarement convergentes. Elles sont même quelquefois incompatibles. Ceci ne doit pas nous surprendre, tant les missions et la culture de ces deux organisations sont éloignées. Peut-être est-il temps de nous reposer la question d’une relance du franco-britannique ? Certes, là aussi, les difficultés sont grandes. Du moins, nos deux armées peuvent-elles se comprendre, ce qui facilite assurément les rapprochements. Mais d’autres possibilités existent avec d’autres pays que nous avons tort de négliger. Enfin, si le franco-allemand est une nécessité, un changement de méthode (en particulier dans le suivi politique) apparaît absolument impératif.

Avec le franco-allemand, l’Europe de la défense constitue l’autre pilier de notre stratégie d’alliances. La France se veut l’élément moteur de cette dynamique. Après la mise en place du FED (fonds européen de défense), nous célébrons comme un progrès décisif la signature, début 2022, d’une Boussole stratégique, sorte de livre blanc embryonnaire de la défense européenne. Symboliquement, ces avancées ne sont pas négligeables. Mais il faut bien reconnaître que leur contenu demeure, pour l’instant, très virtuel. On est loin de l’objectif visé d’autonomie stratégique européenne qui n’est toujours pas partagé par nos partenaires. En pratique, les efforts que nous déployons dans ce sens nous isolent. Car, pour les autres pays européens, la seule réalité demeure l’OTAN. Et la guerre en Ukraine est encore venue conforter ce sentiment. Notre aveuglement obstiné sur ce point est sidérant.

A cet égard, le discours prononcé à Prague le 29 août 2022 par le chancelier Scholz est particulièrement instructif et devrait contribuer à nous ouvrir les yeux. L’Allemagne fait, si j’ose dire, sa révolution culturelle. Elle annonce une hausse des crédits exceptionnelle et – fait nouveau – elle revendique désormais en matière de défense une place conforme à son poids économique : la première. Un peu plus tard, elle prend, avec une douzaine pays, et sans aucune concertation avec la France, l’initiative d’un bouclier anti-missile (qui fera probablement appel à des matériels allemands, américains et israéliens).

L’intention n’est nullement d’impulser l’Europe de la défense ou, plus modestement, de constituer le pilier européen de l’OTAN, mais plutôt de se positionner comme le meilleur élève de l’organisation et de devenir ainsi l’interlocuteur principal du protecteur américain. Pour ce dernier rôle, l’Allemagne entre en compétition directe avec le Royaume-Uni. La réplique ne se fait pas attendre. C’est la surenchère budgétaire que nous avons évoquée. Comment la France réagit-elle à ces initiatives qui viennent modifier les hiérarchies et les équilibres européens ? Et, avec quel discours et quels soutiens espérons-nous faire enfin prospérer l’idée d’une autonomie stratégique européenne ? Faut-il, au contraire, changer d’optique ? A ce jour, la réponse n’est pas claire car le problème n’est même pas posé.

Un gouvernement qui contourne les sujets sensibles

La France peut être fière de son armée. La qualité de ses hommes et de ses équipements comme son expérience en font une des premières au monde. Cet atout confère à notre pays une audience bien supérieure à son poids économique et démographique. Cependant, les évolutions actuelles peuvent rapidement remettre en cause cette place. Un débat politique apparaît absolument nécessaire si nous voulons trouver les moyens de la conserver. Ce débat doit porter sur notre ambition, notre modèle d’armée ainsi que nos alliances. Il est essentiel qu’il soit public, car les travaux menés en interne entre le gouvernement (quel qu’il soit) et l’administration ont une fâcheuse tendance à contourner les sujets sensibles. C’est au contraire en les affrontant que nous pourrons construire des solutions.

Comment faire ? Le préalable est de se détourner des généralités inopérantes dans lesquelles se complaît la revue nationale stratégique publiée à l’automne 2022. Égrener de vagues considérations sur l’état du monde ne fixe pas un cap. Et la répétition des mots « robuste » ou « résilience » ne nous protège en rien. Quant à l’excitante découverte de la « fonction d’influence », elle laisse pantois ! Un autre point ne manque pas d’inquiéter. Sans le dire nettement, la revue envisage notre participation à un conflit principalement sous l’angle d’un engagement au sein d’une coalition. Il est certain qu’en cas de guerre mondiale, nous connaissons notre camp. Mais il est de nombreuses menaces pesant sur la France pour lesquelles nos alliés ne se sentiront pas concernés (ou bien n’interviendront qu’avec retard). Ce sont ces risques qu’il faut identifier en priorité pour nous en prémunir. Or, ces hypothèses, déplaisantes mais avérées, ne sont pas anticipées de façon convaincante.

Au total, on ne peut réfréner un accès d’angoisse à la lecture d’un document dont l’approche conceptuelle et peu pratique évoque irrésistiblement – mais en moins brillant et en plus technocratique – le funeste travers du général en chef Gamelin. L’exploit consiste à brasser sur soixante pages de grandes idées sur l’ordre international sans jamais dire où se trouvent nos intérêts, et comment nous allons les défendre. Quelle est, par exemple, la crédibilité de notre action dans le Pacifique, lorsque nos objectifs sont déjà nébuleux en Méditerranée ? Pour le dire crûment : notre revue stratégique n’a de stratégique que son titre.

La démarche que nous devons entreprendre se situe à l’exact opposé de ce pensum. Avant de philosopher sur la marche du monde, demandons-nous de façon très factuelle de quoi nous avons besoin pour protéger la France et les Français. Pour cela, il nous faut commencer par regarder en face nos dépendances concrètes et nos points faibles. C’est seulement à partir de leur inventaire exhaustif que nous pourrons fixer des objectifs et définir une stratégie. Ce travail devrait être confié au Parlement qui trouverait là un rôle utile et irremplaçable.

Le débat national sur notre défense pourrait alors s’engager sur des bases solides qui lui permettraient de dépasser le cercle des experts pour toucher un large public. La compréhension des enjeux par les Français est en effet un aspect décisif : sans conscience collective des menaces, il est sûr que la résilience tant vantée ne restera qu’un mot pompeux. Il nous faut simplement imaginer un gouvernement qui accepte un questionnement non-complaisant du système, ainsi qu’un Parlement qui soit capable de s’extraire un instant de ses disputes. Telles sont les conditions requises afin d’élaborer une véritable stratégie pour notre défense. Est-ce trop demander ?

Source : Latribune.fr par François Cornut-Gentille / Photo : AFP
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Voir aussi : Sources et références…
https://www.latribune.fr/opinions/osons-un-debat-politique-sur-notre-defense-952035.html

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